Ca fait presque un mois que je ne l'ai plus vu. J'ai l'impression que ça fait une éternité, et en même temps que c'était hier. Je le revis comme un souvenir, mais même après tout ce qu'il s'est passé depuis, j'ai l'impression d'avoir rêvé. Son corps contre le mien, sa main qui passe sous mon t-shirt... Je croyais que se pincer pour se convaincre qu'on était pas en train de dormir était réservé aux films clichés, mais j'en suis arrivée là pour me persuader que ses marques d'affection n'étaient pas un fantasme de plus.
Ca fait presque un mois, et aujourd'hui je suis là, à tourner en rond sur le quai de la gare, mes mains froides crispées sur mon gsm, les yeux fixés sur les rails qui disparaissent au loin dans l'espoir que son train arrive plus vite. Il fait sombre, il fait froid, et si ce n'était pas pour lui je regretterais certainement d'avoir enfilé mon cosplay de Jinx Mafia. Mes tresses bleues battent dans mon dos au rythme du vent qui souffle trop fort et qui s'infiltre, pervers, entre les mailles de mes collants résilles. Je range mon gsm et je croise les bras sous ma poitrine, en soufflant dans l'espoir de me réchauffer un peu.
Je décompte les secondes dans ma tête en me repassant en boucle le scénario que je vais lui jouer. Je pourrais agir normalement, mais tant qu'à avoir le costume autant en prendre le rôle; j'espère que ça lui plaira. Je visualise parfaitement la scène, les dialogues : s'il rentre dans le jeu, ce sera parfait.
Le train s'arrête, les passagers en sortent en masse, c'est samedi soir : beaucoup de jeunes qui viennent squatter le carré. Je suis adossée à un pilier en bout de quai, un crayon comme fause clope en bouche et mon chapeau penché sur le visage, quand il descend enfin. Les cheveux en catogan, sa veste noire bien fermée, il parcourt le quai du regard avant de me reconnaître -comment me rater ?
Je relève les yeux vers lui et range mon crayon tandis qu'il s'approche. Mon coeur bat la chamade sous l'appréhension, mais mon cerveau s'en tient à son texte.
- Salut, lâche-t-il nonchalement.
En accrochant son regard, je prends ma voix la plus sensuelle pour lui répondre.
- Bonsoir, Baron von Ecchi.
Je crois lire un semblant de surprise dans son regard. Je quitte mon pilier et m'avance vers lui, mystérieuse.
- On m'a beaucoup parlé de vous, vous savez. Mais... (Je marque une pause pour le dévisager) Je vous imaginais plus grand.
J'esquisse un sourire tandis qu'il fait la moue.
- Nan mais okay, c'est bon, j'ai compris, j'm'en vais...
Il fait mine de s'éloigner, mais pas assez vite pour que je ne l'attrape par les mains. Je l'attire vers moi et l'embrasse sur la joue, faute de pouvoir atteindre ses lèvres.
- Vous avez vraiment l'intention de vous sauver comme ça ? Sans même (Je me colle contre lui, le décoletté outrageusement plongeant bien mis en valeur) profiter de ce que pour quoi vous êtes venu ?
- Hmmm. Et pourquoi je suis venu, au juste ?
Je recule soudainement, comme frappé par une décharge imaginaire, et prends mon expression la plus innocente possible -aussi innocente qu'une Jinx avec une tenue pareille puisse avoir.
- Ah mais j'en sais rien, moi, on m'a juste dit que vous veniez, je m'en tiens à ce qu'on me dit !
- Et d'après vous, pourquoi je suis venu ?
- He bien..., je fais en penchant la tête sur le côté, On m'a dit que vous étiez un grand fan de monopoly. Ou sinon, on peut faire des gauffres, aussi.
Il sourit, et son sourire me réchauffe face au vent d'octobre qui va finir par me filer la crève.
- Un monopoly, ça me va, il répond.
- Bon, et bien allons-y, dans ce cas.
J'enfuis mes mains dans les poches de mon blouson et me dirige vers les escaliers -un escalator en panne, c'est un escalier, non ?-, avant de marquer une brusque pause et de me retourner vers lui.
- Mais avant. J'ai droit à un câlin pour me réchauffer ?
Je lui fais mon regard le plus adorable, à mi-chemin entre un D: et un é.è. Il soupire un bref instant, comme blasé devant tant de niaiserie, puis consent à me faire une place dans ses bras. Je le sers fort contre moi, autant pour me réchauffer que pour me convaincre qu'il est bien là; et malgré les mèches de ma perruque qui me gênent, je blottis mon visage dans sa nuque.
L'écho du train qui ralentit me parvient depuis le tunnel et me sort de ma rêverie. Ses feux percent l'obscurité et ses freins crissent tandis que l'annonce de son arrivée grésille dans les hauts-parleurs vieillissants de la gare. Je repère le pilier sur lequel j'aurais voulu m'appuyer pour assurer mon rôle, mais déjà le train est à l'arrêt et les portes s'ouvrent. J'inspire un grand coup; il descend du train.
Au diable mon rôle ! Après tout, lui crier après et lui sauter dessus pour l'enlacer, ça fait Jinx quand même.
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